Article N° 8219

ALZHEIMER

Quand la science fait disparaître et réapparaître la mémoire : une avancée prometteuse et déroutante

Abderrahim Derraji - 12 novembre 2025 17:05

Des chercheurs de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) ont réussi un vrai exploit : activer et désactiver un souvenir chez des souris. Cette découverte, publiée dans Nature Genetics, ouvre des perspectives inédites sur le fonctionnement de la mémoire et ses liens avec l’expression des gènes, tout en soulevant d’importantes questions éthiques.

La mémoire, rappelle le professeur émérite Pasquale Nardone (ULB), est une fonction vitale qui permet à tout être vivant de s’adapter à son environnement. Elle n’est pas localisée dans une seule zone du cerveau, mais résulte d’un réseau complexe impliquant des perceptions visuelles, auditives, olfactives et gustatives. Pour mieux comprendre son fonctionnement biologique, les chercheurs suisses ont fait appel à un concept appelé Engram, censé représenter la trace biochimique d’un souvenir dans le cerveau.

L’équipe a ciblé un gène spécifique, ARC, essentiel à la plasticité neuronale, c’est-à-dire à la capacité des neurones à modifier leurs connexions synaptiques. Dans leur expérience, des souris ont été placées dans un labyrinthe où elles recevaient de légères décharges électriques à un endroit précis. Elles ont rapidement appris à éviter cette zone, prouvant qu’elles avaient mémorisé le danger.

Les chercheurs ont ensuite manipulé l’expression du gène ARC à l’aide d’un mécanisme épigénétique : en réduisant son activité, ils ont observé que les souris oubliaient leur apprentissage et retournaient dans la zone électrifiée. Quelques jours plus tard, en réactivant ce même gène, les souris retrouvaient la mémoire du danger et évitaient à nouveau la zone. Ce phénomène spectaculaire démontre une relation directe entre l’expression d’un gène et la capacité de mémorisation.

Si cette découverte constitue une avancée majeure, ses implications doivent être abordées avec prudence. Comme le souligne le Pr Nardone, l’expérience porte sur un seul gène dans un contexte très précis. La mémoire humaine, beaucoup plus complexe, repose sur l’interaction d’une multitude de gènes et de réseaux neuronaux. Néanmoins, cette étude ouvre la voie à des recherches prometteuses dans la lutte contre les troubles de la mémoire, notamment la maladie d’Alzheimer, en offrant la possibilité de réactiver des souvenirs perdus.

Mais elle soulève aussi une question vertigineuse : si l’on peut effacer ou restaurer un souvenir, ne risque-t-on pas un jour de manipuler la mémoire humaine ? Entre espoir thérapeutique et inquiétude éthique, cette découverte trace une frontière fragile entre progrès scientifique et pouvoir sur l’esprit.

Source : rtbf.be